Mesures isotopiques de l’air piégé dans les glaces : détermination quantitative des changements rapides de température et déphasage gaz à effet de serre/température
A. Landais (1), N. Caillon (1), J.-M. Barnola (2), C. Goujon (2), V. Masson-Delmotte (1), J. Jouzel (1)
et J. Chappellaz (2)
(1) IPSL / Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, CEA-CNRS, Gif sur Yvette
(2) LGGE, CNRS, 83402 St Martin d’Hères
Les glaces polaires constituent des archives uniques du climat et de l’environnement. Les mesures isotopiques de la glace ont permis de déterminer les variations qualitatives de la température de surface au cours des 420000 dernières années en Antarctique et 110000 dernières années au Groenland. Les deux enregistrements diffèrent notablement pendant la dernière période glaciaire (-100000 à -20000 ans) : l’enregistrement du Groenland, en accord avec de nombreux enregistrements marins et continentaux montre une succession de 24 réchauffements rapides (~10°C en moins de 100 ans) appelés événements de Dansgaard-Oeschger [1] qui sont à peine perceptibles dans l’enregistrement antarctique. Cependant, à cause de biais (température de source et saisonnalité des précipitations, …) qui affectent la relation empirique reliant isotopes de l’eau et température, l’amplitude de ces événements rapides peut être entachée d’une erreur d’un facteur 2. Une méthode alternative basée sur la propriété de diffusion thermique des gaz dans les 100 mètres constituant la partie supérieure de la calotte de glace (le névé) permet une estimation quantitative des variations rapides de la température de surface dans le gaz piégé dans la glace. Ces fractionnements ont une très faible amplitude et nécessitent par conséquent une précision de 15 pmeg et de 40 pmeg pour d15N et d40Ar dans l’air piégé dans la glace pour détecter des variations de température à ±2°C dans le passé. De plus, la mesure de d18O dans l’air permet une reconstitution de l’évolution des calottes de glace et des conditions de productivité biologique dans le passé.
Nous avons développé une méthode d’extraction de l’air à partir d’échantillons de glace et d’analyse spectrométrique permettant d’obtenir des précision de 6, 20, 25 pmeg [2] et 1000 pmeg pour d15N, d18O, d40Ar et dKr/36Ar [3] dans l’air. Cette méthode est basée sur un réglage optimal du spectromètre de masse et sur des corrections indispensables pour les interférences de masse. Enfin pour l’analyse des gaz rares, une étape supplémentaire a lieu lors de la phase d’extraction qui permet d’éliminer les gaz interférents. Cette technique, associé à une modélisation du névé, nous a permis d’estimer l’amplitude des variations de température à la surface du Groenland lors d’une séquence d’événements climatiques extrêmes (événements de Dansgaard-Oeschger il y a 18190 et 20700 ans). De plus, cette méthode étant la seule permettant d’avoir un accès direct au déphasage entre l’augmentation des gaz à effet de serre et la température, nous avons pu montrer qu’à 50 ans près, température et méthane augmentaient en phase pendant ces 3 événements rapides. Ces deux indications, associées à une estimation à haute résolution des variations du volume des glaces (d18O de l’oxygène de l’air), permettent de mieux contraindre la séquence des événements lors des changements climatiques rapides, et donc les mécanismes de changement brutal du climat.
(1) : Les événements de Dansgaard-Oeschger sont des changements climatiques abrupts (10°C en une centaine d’années au-dessus du Groenland) qui ont eu lieu au cours de la dernière période glaciaire dans le secteur de l’Atlantique Nord (enregistrements continentaux et marins). Ils sont associés à des variations importantes de l’intensité de la circulation océanique et à des modifications majeures de la biosphère terrestre : le réchauffement s’accompagne d’une intensification de la circulation océanique et d’une augmentation des précipitations sur les continents.
(2) : 1 pmeg = 0,001.d
(3) : d84Kr/36Ar = ((Masse84/Masse36)échantillon/(Masse84/Masse36)standard-1)*1000